Qui n’a pas déjà été ému par un ours blanc amaigri se déplaçant sur la banquise, ou indigné par le braconnage d’un phoque ? Ces images “choc” sont souvent relayées par les médias, touchant chaque individu dans sa chair intime, mobilisant les populations à une échelle planétaire.
En biodiversité, la sensibilisation par le symbole, le visible, le beau est utilisée à dessein depuis des décennies. La disparition ou la vulnérabilité d’espèces-phares, animaux emblématiques à la représentation positive, a toujours marqué le conscient et l’inconscient collectifs et nourrit l’inspiration des associations de protection de la nature.
L’effet émotionnel est proportionnel au degré d’identification à l’Homme : un mammifère suscitera plus de compassion qu’un insecte par exemple. De même, jouent la dimension physique de l’espèce (taille, morphologie…), la co-évolution de l’homme avec son environnement, les comportements, l’esthétisme, etc.
Les sols, quart de la biodiversité mondiale
Nécessaires, ces porte-drapeaux ne doivent pas pour autant occulter d’autres problématiques bien moins visibles, mais tout aussi essentielles. Les sols, trop souvent négligés, abritent le quart de la biodiversité mondiale, selon la FAO, l’organisation des Nations-Unies pour l’alimentation et l’agriculture.
Les enjeux de conservation et de restauration de la biodiversité sont de taille dès l‘échelle microscopique. La pédofaune (faune du sol) microscopique et/ou invisible à l’homme est essentielle à la gestion de l’eau, au stockage du carbone, à la régulation du climat, par son action édaphique, terme désignant tout ce qui se rapporte au sol. Le développement des plantes et des animaux terrestres dépend des processus évolutifs auxquels la pédofaune contribue.
Le rôle insoupçonné des arbres d’alignement
En zone urbaine, l’échelle interstitielle joue également un rôle primordial. Des travaux d’étude menés en 2016 dans 26 rues du quartier de Bercy (Paris 12eme) par Mona Omar, docteure du Muséum National d’Histoire Naturelle, département «Homme et Environnement», et publiés en 2018, révèlent le potentiel écologique d’un pied d’arbre.
La flore y est relativement riche puisque chaque année, environ 120 espèces et 35 plantes mellifères, dont le nectar est récolté par les abeilles pour élaborer le miel, trouvent refuge aux pieds de 1 500 arbres d’alignement. Chaque pied d’arbre peut abriter jusqu’à 20 espèces végétales et 7 espèces mellifères, ce qui favorise la présence d’insectes pollinisateurs.
De plus, les modélisations réalisées dans le cadre de ces travaux ont montré que les espèces végétales sauvages utilisent bien les pieds d’arbres pour se disperser. Les interstices ont donc un rôle important dans la constitution effective de la trame verte*.
Cette flore spontanée vasculaire, regroupant l’ensemble des fougères et des plantes à graines ou à fleur, réussit à s’adapter à des conditions de vie difficiles notamment parce qu’elle subit les différents aléas liés à la vie en ville : pollution, présence de poussières et microparticules, piétinement, etc.
Souvent ignorée (voire combattue) par l’homme, la végétation des interstices urbains constitue pourtant une brique essentielle à la constitution d’habitats d’échelles différentes et complémentaires. Imaginez alors le pouvoir de la nature à l’échelle du bâtiment !
Le bâtiment, véritable producteur de nature
A l’échelle du bâtiment, la richesse spécifique, désignant le nombre d’espèces dans un milieu donné, permettant donc d’en mesurer la biodiversité, est proportionnée à la mosaïque de milieux qui y coexistent : murs, façades et toitures végétalisées, jardins, pelouses, cours, pieds d’arbre. Les surfaces végétalisables disponibles peuvent être généreuses et constituent une opportunité pour créer des fonctionnalités écologiques nombreuses, concentrées et connectées avec les autres espaces du territoire, d’abord à l’échelle du quartier, puis à une échelle plus étendue. La connaissance fine du site, jusqu’à la trame brune* et la trame noire*, ainsi que celle des bâtiments et aménagements voisins, est indispensable pour que les solutions de biodiversité soient pertinentes et pérennes.
La démarche à l’échelle du bâtiment permet également de contribuer significativement à la réponse aux enjeux environnementaux à l’échelle du quartier et de la ville : amélioration du cycle de l’eau, régulation du climat, réduction des effets d’îlots de chaleur urbains.
Qu’il soit en zone urbaine, péri-urbaine ou rurale, le bâtiment doit donc devenir un véritable producteur de nature, en s’appuyant sur les principes structurants de la séquence ERC (Eviter – Réduire – Compenser). Ce principe, inscrit dans la stratégie européenne pour la biodiversité, a pour objectif d’éviter les atteintes à l’environnement, de réduire celles qui n’ont pu être suffisamment évitées et de compenser les effets notables qui n’ont pu être ni évités, ni suffisamment réduits.
La séquence ERC revêt des enjeux différents en zone urbaine où les milieux sont souvent remaniés et en zones péri-urbaines ou rurales présentant davantage de milieux protégés. Cependant, les projets peuvent tous être créateurs de valeur écologique par la restauration des habitats affectés et/ou la création de nouveaux habitats, sans se limiter à la seule préservation des milieux ou espèces d’intérêt. Celle-ci a souvent été l’unique levier pour engager des actions en faveur de la biodiversité.
Le règlement au soutien de la biodiversité
Il existe tout un appui réglementaire pour favoriser les actions de biodiversité. Par exemple, pour limiter l’étalement urbain et aller dans le sens du Zéro Artificialisation Nette en favorisant les restructurations, les Maîtres d’Ouvrage du tertiaire et du résidentiel peuvent s’appuyer sur des dispositifs législatifs facilitant les changements d’usage des bâtiments et la densification (cf. lois ALUR et ELAN).
Les efforts à consentir pour certaines catégories d’actifs, péri-urbains par nécessité, comme les entrepôts, sont récemment devenus plus contraignants avec par exemple l’obligation d’énergies renouvelables ou systèmes de végétalisation, imposée par la loi du 8 novembre 2019. Certaines typologies d’ICPE (Installation Classée pour la Protection de l’Environnement) restent dispensées du dispositif.
On constate néanmoins avec enthousiasme que les enjeux de biodiversité sont de mieux en mieux compris, que les démarches volontaires comme BiodiverCity sont plébiscitées sur tous les types de bâtiments et que les entreprises les valorisent de plus en plus dans leur performance extra-financière.
Coordonner les actions aux différentes échelles
En somme, admettre les adventices, plus connues sous le nom de « mauvaises herbes », privilégier les restructurations, valoriser les sites déjà artificialisés et renaturer au maximum, y compris les bâtiments en exploitation, permet de tisser la trame écologique la plus complète, pas à pas. Valoriser les transports publics en limitant le recours aux zones de stationnement, qu’elles soient aériennes ou en sous-sol, est aussi essentiel en zone urbaine pour maintenir les conditions d’accueil de la biodiversité (surfaces disponibles et de pleine terre, …).
Cette dynamique n’a de sens que si elle est globalisée. A ce titre, l’harmonisation des politiques de gestion des espaces publics, d’aménagement et de construction aux différentes échelles de territoire est nécessaire, du niveau interstitiel au niveau national.
Prendre conscience des apports de la nature
Le bâtiment est un lieu de choix où l’Homme peut profiter des services écosystémiques, un lieu d’autant plus important que nous y passons 90% de notre temps ! Les aménités à mettre en place pour cela (bancs, parcours et animations pédagogiques, pratiques d’agriculture urbaine, …) dépassent de loin le cadre de la conception paysagère du XXème siècle, qui souvent répondait plus à des impératifs de design et d’esthétique que de biodiversité. La reconnexion de l’Homme à la nature, par ces aménités, permet, ici aussi, la prise de conscience des apports de la nature par les Maîtres d’Ouvrages et le déclenchement des projets de biodiversité 2.0.
Les référentiels de labellisation BiodiverCity Construction, Life, et Ready permettent aux porteurs de projet de structurer les démarches d’intégration de biodiversité, d’appropriation et d’aménités utiles à la planète et à l’Homme, de la conception du quartier à l’utilisation des bâtiments qui le composent. G-ON vous propose son accompagnement à la mise en œuvre de ces démarches.
Clément BÉGAT – Directeur Associé G-ON
Notes et références :
*Trame verte : trame caractérisant la connexion d’espaces verts.
*Trame brune : trame caractérisant la connexion écologique des sols)
*Trame noire : trame caractérisant les corridors écologiques des espèces nocturnes)
Omar, M., Al Sayed, N., Barré, K., Halwani, J., & Machon, N. (2018). Drivers of the distribution of spontaneous plant communities and species within urban tree bases. Urban Forestry & Urban Greening, 35, 174-191. https://doi.org/10.1016/j.ufug.2018.08.018
Omar, M., Schneider-Maunoury, L., Barré, K., Al Sayed, N., Halwani, J., & Machon, N. (2019). “Colonization and extinction dynamics among the plant species at tree bases in Paris (France).” Ecol Evol. 2019;00:1–15. https://doi.org/10.1002/ece3.4954