Baisse de la pollution de l’air et confinement vont-ils de pair ?

Les images venues de Chine étaient prometteuses. Tout un nuage de pollution de dioxyde d’azote, presque aussi grand que la France, disparaissait après les mesures de confinement dans l’Empire du milieu. Pareil pour le CO2 et les particules fines.

Allait-on pouvoir observer pareil phénomène en France après le 17 mars, alors que la population était appelée à rester chez elle et que les bouchons laissaient place aux animaux sauvages ? Patatras, le samedi 28 mars voyait au contraire un pic de pollution aux particules PM10, en Île-de-France et dans les Hauts-de-France. Comment l’expliquer ?

Carte créée par la Nasa à partir des données du satellite Sentinel-5 de l’ESA montrant les concentrations en dioxyde d’azote en Chine, du 1er au 10 janvier, et du 10 au 25 février 2020. (ESA / NASA)

Il faut d’abord bien préciser de quoi on parle. En effet, si l’on ne s’attache qu’au dioxyde d’azote, comme sur les cartes de Chine ci-dessus, il n’y a pas de doute possible, le lien entre confinement et baisse de la pollution de l’air est avéré. Dès la première semaine du confinement, Airparif constatait une amélioration de la qualité de l’air de l’ordre de 20 à 30% dans l’agglomération parisienne, entre le 16 et le 20 mars, avec « une baisse des émissions de plus de 60% pour les oxydes d’azote ».

Cette première tendance a ensuite été confirmée, toujours en ce qui concerne les oxydes d’azote, par les images satellites du programme européen de surveillance de l’atmosphère Copernicus.

Observations du satellite Sentinel-5P du programme Copernicus, comparant les concentrations en dioxyde d’azote sur la période du 14 au 25 mars 2020, à la moyenne mensuelle des concentrations en mars 2019 (ESA)

Alors, pourquoi y a-t-il eu un pic de pollution le 28 mars dernier ? Pour le comprendre, il faut s’intéresser aux éléments incriminés, à savoir non pas les oxydes d’azote, mais les particules fines PM10 et PM2,5 (désignations issues du sigle anglais « Particulate Matter »).

Rappelons ce que les microparticules sont, en utilisant la description d’Airparif, organisme de surveillance de la qualité de l’air en Île-de-France :

Les microparticules, de la taille du micromètre (µm, un million de fois plus petit qu’un mètre) ne sont pas visibles à l’œil nu :

– Les particules PM10, de taille inférieure à 10 µm (6 à 8 fois plus petites que l’épaisseur d’un cheveu, soit environ la taille d’une cellule) et qui pénètrent dans l’appareil respiratoire.

– Les particules fines ou PM2,5, inférieures ou égales à 2,5 µm (comme les bactéries) et qui peuvent se loger dans les ramifications les plus profondes des voies respiratoires (alvéoles).

Polluants primaires

Les particules fines peuvent être des polluants primaires : elles sont rejetées directement dans l’atmosphère par les activités humaines.

On peut déjà noter qu’en temps normal, hors confinement, les sources d’émission de particules primaires sont diverses et variées, que ce soit l’industrie, le trafic routier… et plus particulièrement le chauffage résidentiel au bois ! En Île-de-France, en 2015, 28 % des émissions primaires de PM10 et 42 % des PM2,5 étaient issues du chauffage résidentiel au bois. Or, le chauffage domestique a par nature augmenté avec le confinement. C’est une première raison permettant d’expliquer le pic de pollution.

Polluants secondaires

Les particules fines peuvent aussi être des polluants secondaires : elles sont alors le résultat de réactions chimiques de gaz entre eux.

Prenons l’exemple de l’ammoniac (NH3). C’est un composé chimique émis par les déjections des animaux et les engrais azotés utilisés pour la fertilisation des cultures. Son dépôt excessif en milieu naturel peut conduire à l’acidification et à l’eutrophisation des milieux. De plus, il peut se recombiner dans l’atmosphère avec des oxydes d’azote et de soufre pour former des particules fines comme le nitrate d’ammonium (NH4NO3) ou le sulfate d’ammonium ((NH4)2SO4).

On observe justement une contribution importante de l’ammoniac aux pics de particules fines… au début du printemps, période d’épandage de fertilisants et d’effluents d’élevage.
La France, avec 708 kilotonnes émises dans l’atmosphère, était en 2014 le premier émetteur d’ammoniac de l’Union européenne, selon l’ADEME.

Qui plus est, la mise en place du confinement en France coïncide avec l’arrivée de conditions météos printanières propices à la formation et l’expansion de ces polluants secondaires.

La pollution aux particules PM10 et PM2,5 ne dépend donc pas seulement des émissions primaires, mais aussi des polluants secondaires, comme le montre ce graphique du programme Copernicus, établissant la constitution des polluants PM10 le 28 mars 2020.

Constitution de chaque polluant PM10 d’après Copernicus.

Plus de la moitié des particules fines PM10 à Paris ce jour-là était constituée des composants SO4, NO3, NH4, soient des particules secondaires dépendantes des activités agricoles. À noter aussi, les plus de 20% de « dust », c’est-à-dire des poussières (sables, argiles…) qui catalysent l’apparition de polluants secondaires.

Après la hausse du chauffage domestique, l’agriculture, secteur dont l’activité n’est pas immobilisée par les mesures de confinement, est à l’origine de l’apparition de particules secondaires, et,semble bien la deuxième raison permettant d’expliquer le pic de pollution malgré le confinement.

Mais il y a une raison encore plus significative, qui relègue toutes les autres au second plan.
 
La pollution ne s’arrête pas aux frontières

Les particules polluantes sont par nature aériennes, en suspension. Quand les conditions météos sont propices, que les composants ne sont pas plaqués au sol par la pluie, que le vent souffle, elles peuvent voyager une semaine ou plus dans l’atmosphère ! C’est pourquoi une pollution en France peut trouver sa source dans un autre pays européen ou même africain.

Encore faut-il le vérifier. Grâce encore une fois au programme européen de surveillance de l’atmosphère Copernicus, nous sommes capables d’établir la liste des pays dont provenaient les polluants PM10 ce 28 mars !

Provenance des polluants PM10 d’après Copernicus.

On peut tout de suite constater que pas moins de 85% des polluants PM10 venaient des pays frontaliers ! Voilà la 3e raison pour laquelle on peut observer un pic de pollution, même en période de confinement.

De la même façon que le sable du Sahara peut se déposer sur nos voitures ou que les cendres d’un incendie au Portugal se retrouve en Bretagne, les particules de pollution ne s’arrêtent pas aux frontières, à l’image de la pollution plastique, qui voit des déchets français trouver leur chemin jusqu’aux plages d’Indonésie…

Que faut-il en conclure ?

Le transport thermique individuel doit être maîtrisé bien entendu (amélioration du réseau de transports en commun, pistes cyclables, normes plus contraignantes en matière de rejet de particules, autopartage de véhicules « vert », etc.), mais c’est avec une réflexion globale intégrant toutes les activités humaines qu’une solution pérenne pourra être trouvée pour améliorer la qualité de l’air. Surtout, c’est avec une politique au niveau européen, et même mondial qu’on pourra durablement lutter contre la pollution.

En attendant, pour se convaincre, on pourra toujours se réjouir en contemplant la chaîne de l’Himalaya, visible pour la première fois en 30 ans depuis les villes de la province du Pendjab, à 200 km de là ! Un spectacle rendu possible… depuis la mesure de confinement prononcée en Inde.

Thierry LACROIX
associé fondateur de G-ON, responsable de l’offre Mesures et Qualité de l’air
Joseph BANCAUD
responsable communication G-ON

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