Un enjeu majeur pour le climat
Le chauffage et l’eau chaude sanitaire en constituent la plus grande part, encore largement alimentée par le gaz et le fioul. Or, la France s’est engagée à la neutralité carbone en 2050, ce qui impose de réduire quasiment à zéro les émissions de ce secteur dans les prochaines décennies.
La Stratégie Nationale Bas-Carbone (SNBC) fixe le cap, et le décret tertiaire précise des objectifs intermédiaires : –40 % de consommation d’énergie finale en 2030, –50 % en 2040 et –60 % en 2050 (par rapport à 2010-2019). Chaque année, les propriétaires et exploitants doivent déclarer leurs consommations sur la plateforme OPERAT, sous peine de sanctions.
Le CRREM : transformer l’objectif en trajectoire
Face à ces contraintes, le Carbon Risk Real Estate Monitor (CRREM) joue un rôle clé. Développé par un consortium européen et open-source, il propose des trajectoires carbone alignées sur les scénarios à 2 °C.
En pratique, l’outil :
- calcule l’intensité carbone d’un bâtiment (kgCO₂/m²/an) à partir de ses consommations énergétiques et de son mix énergétique,
- compare cette performance à la trajectoire cible de décarbonation jusqu’en 2050,
- identifie la “Stranding Year”, c’est-à-dire l’année où le bâtiment dépasserait la trajectoire admissible et risquerait d’être considéré comme un actif obsolète (« stranded asset »).
Le CRREM relie ainsi directement risque climatique et risque financier : un actif non aligné peut perdre en valeur, attirer moins de locataires ou nécessiter des investissements urgents et coûteux.
Comment s’aligner sur la trajectoire ?
Pour éviter l’obsolescence carbone et rester compétitif, plusieurs leviers se combinent :
- Rénovation énergétique : isolation thermique, vitrages performants, équipements CVC plus sobres, éclairage LED. Une rénovation bien conçue peut réduire la consommation de 30 à 50 %.
- Décarbonation de la production de chauffage : remplacement des chaudières fossiles par des pompes à chaleur, raccordement à des réseaux de chaleur renouvelables ou recours à la biomasse.
- Énergies renouvelables : installation de panneaux solaires en autoconsommation ou souscription à des contrats d’électricité 100 % renouvelable.
- Pilotage et sobriété : systèmes de gestion technique du bâtiment (GTB/BACS), programmation intelligente, consignes adaptées et implication des occupants.
Une transformation déjà en marche
Les progrès sont visibles : depuis 2010, les émissions du tertiaire baissent en moyenne de 2 % par an, et 2023 a marqué un niveau historiquement bas. Certaines foncières et investisseurs intègrent désormais systématiquement le CRREM dans leurs décisions pour aligner leurs portefeuilles sur une trajectoire “net zéro carbone” à l’horizon 2030-2040.
Mais le chemin reste long. Passer de plus d’environ 30 MtCO₂ (émission du secteur du bâtiment tertiaire en France) aujourd’hui à quelques MtCO₂ en 2050 exigera une accélération massive des rénovations, des changements d’usage et des investissements.
Conclusion
Le CRREM apporte une boussole indispensable : il traduit la neutralité carbone en indicateurs chiffrés, permet de prioriser les actions et de mesurer le risque carbone actif par actif. Couplé au cadre réglementaire français (SNBC, décret tertiaire, RE2020), il donne aux acteurs du tertiaire les moyens de bâtir une stratégie gagnante : respecter la loi, éviter l’obsolescence, préserver la valeur de leurs actifs et contribuer concrètement à l’objectif climat de 2050.