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L’évolution en 130 ans de la flore parisienne confirme le réchauffement climatique

Malgré son environnement très fortement anthropisé, c’est-à-dire transformé par l’action de l’homme, la ville de Paris est un lieu où les naturalistes tentent régulièrement d’exercer leur art : établir la liste des espèces qu’ils y rencontrent. Grâce à leurs travaux, il a été possible d’établir l’évolution de la flore des rues parisiennes depuis 130 ans.

En 1883, le naturaliste et astronome Joseph Vallot a fait l’inventaire des plantes qu’il a identifiées dans les rues de Paris, avant d’en publier la liste un an plus tard. Le travail de Joseph Vallot s’est limité à l’ancien Paris, avant l’annexion des petites villes limitrophes. On connaît ainsi la liste des espèces végétales qui croissaient spontanément au centre de Paris. Près de 130 ans après, un travail similaire a été effectué par le Muséum national d’histoire naturelle.

« Essai sur la flore du pavé de Paris limité aux boulevards extérieurs, ou Catalogue des plantes qui croissent spontané-ment dans les rues et sur les quais ; suivi d’une florule des ruines du Conseil d’État – 1884 » de Joseph Vallot (gallica.bnf.fr / BNF)

De 2009 à 2017, la végétation de 1 500 pieds d’arbres situés dans 26 rues du quartier de Bercy, dans le 12ème arrondissement sur la rive droite de la Seine, a été inventoriée annuellement par une équipe du Muséum national d’histoire naturelle, en mai ou juin. Dans le même temps, la liste de la flore des rues qui peuple aussi les trottoirs, les pelouses, les fissures des murs et les interstices entre les pierres, les pavés ou les dalles, est recueillie par des bénévoles dans le cadre du projet « Sauvages de ma rue ». Ce projet, issu du programme Vigie-Nature, vise à connaître les caractéristiques des espèces végétales qui peuplent les villes en fonction de l’intensité de l’urbanisation et de la configuration des quartiers.

Apparitions et disparitions d’espèces

La flore en 1883 est relativement riche : 249 espèces habitent le centre de Paris. Parmi celles-ci, 111 n’existent plus actuellement à Paris, dont : Gnaphalium uliginosum, Polystichum tetragonum, Corrigiola littoralis, Ononis natrix, Turgenia latifolia, Rubia tinctorum, Sanicula europaea, Adoxa moschatellina, Agropyrum repens, Tephrosia major, Serrafalcus mollis, Lens culinaris subsp. culinaris, Ampelopsis quinquefolia, Cynosurus cristatus

Gnaphalium uliginosumCorrigiola littoralisOnonis natrix et Rubia tinctorum font partie des espèces qui semblent avoir disparu… 

122 espèces ne semblaient pas être présentes à Paris en 1883, et sont donc nouvelles pour le territoire. Parmi elles, on trouve : Agrostis capillaris, Alliaria petiolata, Artemisia vulgaris, Bromus sterilis, Cardamine hirsuta, Crepis capillaris, Clematis vitalba, Fallopia convolvulus, Polypogon viridis, Geranium molle, Conyza canadensis, Helminthotheca echioides, Fallopia convolvulus, Tragopogon pratensis, Senecio inaequidens, Solidago gigantea, Fallopia japonica, Torilis japonica, Tragopogon pratensis, Veronica hederifolia, Vicia cracca, Vicia sepium, Vulpia myuros, Solidago gigantea...

32 % de ces espèces sont exotiques : elles se sont installées dans une aire distincte de leur aire d’origine.

Alliaria petiolataClematis vitalbaGeranium mollePolypogon viridis font partie des espèces nouvellement présentes.

La flore globale s’adapte au changement

Les espèces qui ont été capables de se maintenir sur plus d’un siècle sont plutôt des plantes communes : Lolium perenne, Poa annua, Parietaria judaica, Rumex acetosella, Rumex obstufolius, Chenopodium album, Urtica dioica, Plantago lanceolata, plantago major, Convolvulus arvensis, Taraxacum officinale, Sonchus oleraceus, Sonchus asper, Matricaria recutita, Chaerophyllum temulum, Galium aparine, Silene vulgarisGalium elatum, Trifolium repens, Stellaria media, Capsella bursa-pastoris, Brassica napus, Papaver rhoeas Ranunculus acris, Ranunculus repens, Avena sativa, Euphorbia peplus, Polygonum aviculare, Mercurialis annua, Senecio vulgaris, Vicia lathyroides, Ailanthus glandulosa

Parietaria judaica, Matricaria recutita, Plantago lanceolata, Geranium rotundifolium sont des espèces rudérales (© Mona OMAR).
Senecio inaequidens, Stellaria media, Bellis perennis, Cardamine hirsuta ont survécu de 1883 à aujourd’hui (© Mona OMAR).

La majorité de ces espèces sont rudérales, spécialistes des terrains bouleversés et régulièrement ouverts (Lolium perenne, Plantago major, Polygonum aviculare, etc.). Elles vivent sur des décombres et parviennent à supporter les conditions particulières de la ville, telles que les températures élevées, l’air pollué, le sol sec, tassé, voire minéral, le manque d’espace. Elles ont souvent une grande autonomie de reproduction et parviennent à compenser le manque d’insectes pollinisateurs. Autrement dit, elles ont une forte capacité d’adaptation, ce qui explique qu’elles aient pu se maintenir jusqu’à aujourd’hui.

Certaines sont des plantes de milieux rocheux (Silene vulgaris, Parietaria judaica) ou généralistes (Poa annua, Taraxacum officinale, Trifolium repens, Rumex obstufolius, Urtica dioica…) qui sont capables de se développer sur un substrat très pauvre, d’envahir les lieux pollués en nitrates par les gaz des pots d’échappement ou les déjections canines. Elles prolifèrent dans les interstices des chaussées ou des failles de murs, dans les pieds d’arbre, et trouvent en ville des conditions équivalentes à leur milieu naturel.

Les plantes d’aujourd’hui sont plus tolérantes à la chaleur

Cette comparaison à travers le temps permet de mieux comprendre comment les communautés végétales évoluent avec les changements de températures et de conditions environnementales et humaines. Un grand nombre d’espèces ne sont plus favorisées dans ces nouvelles conditions ; elles s’éteignent au profit d’autres qui étaient jusqu’alors minoritaires. Les analyses statistiques montrent clairement que les plantes d’aujourd’hui sont globalement plus tolérantes à la chaleur qu’en 1883. Le réchauffement climatique semble avoir favorisé l’implantation croissante en Europe d’espèces d’origine subtropicale ou tropicale.

Les espèces les mieux adaptées aux hautes températures deviennent plus abondantes (Chondrilla juncea, Erigeron bonariensis, Erodium moschatum, Oxalis corniculata, Phalaris canariensis) alors que les plantes qui souffrent des canicules, devenues plus fréquentes, se raréfient (Iberis sempervirens, Anthriscus sylvestris, Agrostis capillaris, Cicuta virosa).

Oxalis corniculata et Chondrilla juncea font partie des espèces aptes à affronter des épisodes caniculaires.

Dans les milieux urbains, très perturbés, les plantes qui se maintiennent ou s’installent sont les mieux adaptées aux sols pauvres et au manque d’eau, mais aussi les plus tolérantes au réchauffement climatique.

Mona OMAR
Docteure du Muséum National d’Histoire Naturelle, département «Homme et Environnement»
Écologue chez G-ON

Quelques références :

Omar, M., Al Sayed, N., Barré, K., Halwani, J., & Machon, N. (2018). Drivers of the distribution of spontaneous plant communities and species within urban tree bases. Urban Forestry & Urban Greening, 35, 174-191. https://doi.org/10.1016/j.ufug.2018.08.018

Omar, M., Schneider-Maunoury, L., Barré, K., Al Sayed, N., Halwani, J., & Machon, N. (2019). “Colonization and extinction dynamics among the plant species at tree bases in Paris (France).”  Ecol Evol. 2019;00:1–15. https://doi.org/10.1002/ece3.4954

MNHN, Muséum national d’histoire naturelle et TELA BOTANICA, © 2010. Sauvages de ma rue [en ligne]. MNHN. [Consulté le 13 février 2018]. Disponible à l’adresse : http://sauvagesdemarue.mnhn.fr/

MNHN, Muséum national d’histoire naturelle, © 2010. Vigie Nature | Observatoires de la biodiversité. [en ligne]. [Consulté le 22 février 2018]. Disponible à l’adresse : http://vigienature.mnhn.fr/

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